L’école de demain doit ressembler au monde d’après-demain

Selon Amadou Diaw, président ISM de Dakar, le système éducatif africain doit évoluer pour préparer la jeunesse aux emplois du futur et mettre fin au chômage de masse. « L’école de demain doit ressembler au monde d’après-demain ».

Tribune. L’analyse des systèmes éducatifs est trop souvent dominée par la question relative à l’adéquation formation-emploi. Les pays africains n’échappent naturellement pas à ce débat, et en leur sein, celui-ci semble d’ailleurs avoir une résonance plus forte, pour au moins deux raisons : d’une part, la qualité des écoles, jugée généralement médiocre et d’autre part les faibles performances des économies au sein du continent.

Selon plusieurs enquêtes menées en Afrique auprès de diverses cibles, les principales difficultés rencontrées par les jeunes sur le marché du travail résultent d’un décalage entre ce que les demandeurs d’emploi ont à offrir et ce que les employeurs recherchent. Le taux élevé de vacances de postes en présence d’un chômage massif confirme l’existence d’un décalage entre l’offre et la demande de qualifications.

L’idée d’une adéquation formation-emploi ne saurait être rejetée, ni totalement, ni partiellement. Mais ne faudrait-il pas remettre en cause la tyrannie qu’elle exerce désormais du point de vue à la fois de l’analyse et du pilotage des systèmes éducatifs, et en particulier de l’enseignement supérieur ? On peut déplorer que l’adéquation-formation ait parfois tendance à virer à « l’adéquationnisme »,  consistant en une prétention à former un individu pour un poste de travail déterminé. Les risques sont ici évidents, puisqu’une telle option ôterait aux individus toute chance de s’émanciper ou d’être mobile professionnellement. Selon le Département d’État américain du Travail, 65% des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés.

En ce qui concerne spécifiquement le continent africain, l’adéquationnisme présente un inconvénient majeur, celui de sacrifier l’avenir sur l’autel du très court terme. En effet, la question demeure de savoir pour quels emplois faudrait-il former, lorsqu’on sait que le marché de l’emploi dit moderne est embryonnaire en Afrique et, à ce titre, est loin d’être représentatif des potentialités économiques et des aspirations légitimes du continent.

Pour quels emplois doit-on former les jeunes ? Ceux qui existent ou ceux qu’il faudrait créer ? «L’école de demain doit ressembler au monde d’après-demain», elle doit préparer les jeunes pour ce qui va ou devrait venir. Enseigner seulement le monde d’aujourd’hui ne ferait donc pas sens. Il serait plutôt préférable de former pour un autre monde, dont la particularité est justement qu’on ne sait pas de quoi il sera fait ! Tout cela, assurément, est fort complexe… Mais le monde, désormais, n’est-il pas à l’ère de la complexité, dont la caractéristique principale est qu’elle ne peut pas se satisfaire de solutions toutes faites ?

Oui, l’école doit se préoccuper de prendre en charge, autant que faire se peut, les besoins exprimés par le monde professionnel. Non, telle n’est pas la seule mission, ni la plus importante de l’école. L’école, plutôt que de s’adapter, doit au contraire être l’institution par excellence qui permet l’élévation. Elle doit être une force de changement, encourager les ruptures novatrices et être à l’origine des transformations salutaires. L’école doit, être « l’usine de fabrique de l’avenir ». Plutôt que de se limiter à produire simplement des compétences, l’école doit accorder en Afrique une place centrale au talent, et en particulier à tout ce qui se rapporte à sa création, sa détection, son développement, son entretien, etc.

L’école doit aussi encourager la créativité, et tout ce qui s’y rapporte. La créativité, c’est cette capacité à inventer d’autres chemins et à relever des défis nouveaux. Elle traduit donc l’aptitude à sortir des schémas traditionnels, à mettre en œuvre des réflexions et des solutions qui dépassent les automatismes et les routines convenues. La créativité sera au cœur de la société du futur, et pour certains d’ailleurs, la société créative est en train de se substituer à la société du savoir (Einstein ne disait-il pas déjà au siècle dernier que «l’imagination est plus importante que le savoir» ?). Il est donc important pour l’Afrique de ne pas rater le virage de la créativité, et de ce point de vue, l’école africaine a certainement un rôle très important à jouer.

Enfin, l’école africaine doit développer et encourager les aptitudes et les attitudes entrepreneuriales. Contrairement à une idée reçue, l’activité entrepreneuriale est très développée en Afrique. Le défi que le continent doit ici relever découle de ce que ce taux d’activité entrepreneurial est surtout – paradoxalement – le fait des non-diplômés. Si l’Afrique a certes besoin d’entrepreneurs, elle a certainement encore plus besoin d’entrepreneurs sociaux. Autrement dit, des entrepreneurs qui génèrent des revenus tout en résolvant des problèmes sociaux ou sociétaux, dont le développement des affaires permet l’amélioration de l’existence et des conditions de vie des populations, qui acceptent des adaptations et des limitations de leurs gains financiers au nom d’objectifs sociaux clairement affichés.

Le cimetière de la Méditerranée est, à mon avis, une bien triste représentation du goût du risque, de l’abnégation et de la détermination de la jeunesse africaine. Cimetière d’entrepreneurs potentiels. Cimetière de jeunes pousses. L’école en Afrique mesure sa responsabilité. Elle s’implique tous les jours aux côtés de la jeunesse de ce continent. Elle agit plus qu’elle ne parle. Et trop souvent, un peu plus que les acteurs politiques. Elle pose des actes. Elle sème des graines. Le Baobab d’Afrique pousse toujours dans le silence.

Amadou Diaw, Président du groupe ISM

Source : Libération, 19 septembre 2015