Le 30 juin, après 23 heures 59 minutes et 59 secondes, il sera 23 heures 59 minutes et 60 secondes, puis minuit. Ce jour-là comptera donc 86 401 secondes. Pour comprendre l’origine de cette seconde intercalaire, qui nous perturbera sans doute moins que le changement d’heure saisonnier, il faut réaliser que trois échelles de temps régissent les activités humaines courantes.

La première est le temps universel, basé sur la rotation de la Terre sur elle-même. Utilisé pour définir l’heure légale jusqu’en 1972 et longtemps considéré comme uniforme, le temps universel présente en fait des irrégularités d’origine atmosphérique et géophysique. Ainsi, la période de rotation de la Terre sur elle-même est plus courte de 1 à 2 millisecondes en août qu’en février. Variable au cours de l’année, le temps universel l’est aussi au fil des siècles à cause de l’action de marée de la Lune et du Soleil : le jour actuel est plus long que celui de 1820 de 2,5 millisecondes.

 

La deuxième échelle est le temps atomique international, officiel depuis 1971. C’est une échelle de temps établie par le Bureau international des poids et mesures à partir d’un parc d’environ 350 horloges atomiques réparties dans le monde. Une horloge atomique utilise la fréquence du rayonnement émis par un électron lorsqu’il change de niveau d’énergie dans un atome de césium. Fondée sur la physique microscopique, l’échelle de temps atomique est parfaitement uniforme et d’une grande stabilité :

Elle ne dévie pas de plus d’une seconde en 300 millions d’années. C’est Ce qui lui vaut d’être utilisée à bord des satellites des réseaux de Positionnement géographique comme GPS ou Galileo.

Difficilement prévisible longtemps à l’avance

Enfin, le temps universel coordonné fut instauré en 1972. A cette époque, on a cru bon de ne pas perdre totalement le lien entre le temps et la rotation de la Terre car plusieurs activités, comme la navigation astronomique et le suivi de sondes spatiales, avaient encore besoin du temps universel tout en nécessitant une échelle de temps aussi stable que possible. D’où la création d’une échelle hybride, possédant les qualités d’uniformité du temps atomique tout en restant en phase avec la

rotation de la Terre. C’est pour cela qu’une seconde intercalaire est parfois ajoutée à la dernière minute du dernier jour des mois de juin ou de décembre ; celle du 30 juin 2015 sera le 26e ajout.

 

Finalement, la seconde intercalaire est à la rotation de la Terre sur elle-même ce que l’année bissextile est à sa révolution autour du Soleil : un recalage entre deux échelles qui dérivent l’une par rapport à l’autre. Depuis quelques années, la seconde intercalaire est l’objet de critiques récurrentes. Parce qu’elle est difficilement prévisible longtemps à l’avance, ses détracteurs affirment qu’elle pose des problèmes aux systèmes électroniques et informatiques.

 

Pour résoudre cette question, la proposition la plus extrême consiste à abandonner l’ajout de secondes intercalaires en adoptant une échelle de temps qui suit le temps atomique international sans plus se préoccuper de la rotation de la Terre. La décision, lourde de conséquences,

pourrait être prise en novembre, lors de la prochaine conférence de l’Union internationale des télécommunications. Pour la première fois dans l’Histoire, notre échelle de temps abandonnerait toute relation avec le mouvement de la Terre et du Soleil.

 

Roland Lehoucq (astrophysicien, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives)

Le Monde des sciences, 15 juin 2015